
@photo Raphaël Gaillarde
Chapitre 7
Toi et Moi… l’histoire édifiante d’une bague
Le statut de décorateur, en ces premières années du siècle, est encore mal défini. La clientèle attend tout de ses services : du mobilier au papier peint, de la sculpture et la dorure, à la garniture des meubles, en passant par la literie, les rideaux, les pompons, les cordelières… Mais également de dessiner une bague de fiançailles, une broche pour un anniversaire, les initiales de la famille sur les écrins à bijoux ou la vaisselle d’argent, de faire graver les cartes de visite, de trouver une idée originale pour la typographie d’un papier à lettres… D’autant plus exigeante lorsqu’elle est riche, elle se croit seule au monde et ne supporte pas d’être soumise à des délais de livraison, voire à des retards dus, en grande partie, au fait qu’elle change d’idée avec le ciel et les avis de son entourage, lesquels ne manquent pas ! Faire et refaire n’arrange pas les choses. Ce sera, jusqu’à ce qu’il s’en libère pour travailler avec des entreprises ayant pignon sur rue, la bête noire de Paul Follot. La célèbre couturière Jeanne Paquin ne veut pas être moins bien servie que le dramaturge Henry Bataille, ou porter des bijoux moins chics que ceux qu’il créé pour les Cahen ou pour cette Mme Bernier… une cocotte, si l’on en croit ses manières – elle lui a demandé de graver ses initiales, en lettres d’or assez extravagantes, sur du papier rose du plus mauvais goût. Et quel intérieur ! Elfriede, qui s’est rendue à son domicile avec sa commande, a déclaré en rentrant le soir qu’elle avait un intérieur à donner le vertige et n’était pas prête d’oublier sa visite.
A l’école de Grasset, il s’est formé au dessin du bijou. Très vite, il en maîtrise la technique et ses pièces sont à la fois élégantes et délicates, tout à fait dans l’esprit de l’Art Nouveau. Les lignes souples s’enroulent autour d’un visage féminin ou jouent autour du thème floral. Avec elles, il a connu ses premiers succès et s’est constitué un carnet de noms, qui seront de futurs clients pour son mobilier. Pour ces gens fortunés, il achète tout ce qu’il peut trouver comme belles gemmes chez le lapidaire Worms (11 et 11bis Rue du Perche, à Paris) : topazes brûlées, turquoises, labradorites en cabochon, perles de Californie, rubis et opales rouges, pierres de lune… Guidé par son goût très sûr, il met en valeur la beauté des pierres, l’eau d’une perle ou d’un diamant, en faisant un usage discret (mais déterminant) de l’émail. Ce dernier est à la fois un élément décoratif dans ses pièces de joaillerie et un suppléant à cette ligne, qu’il continue de privilégier tout en se défiant de sa fantaisie débridée et de ses excès, comme cette bague de fiançailles en or qu’il a conçue pour une certaine Mlle Blum, à Nancy, formant une couronne de lierre en émail vert mêlée de baies en rubis. Ses bijoux sont cependant en marge de la modernité et, comme l’écrit son biographe Léon Riotor : « peu représentatifs de leur époque »… Nous dirions, moins « représentatifs » de cette période qui annonce les Arts Décoratifs que les bijoux d’autres créateurs contemporains comme Lalique, Wolfers ou Templier.
Peut-être parce qu’il est avant tout un dessinateur, Follot pousse trop loin la ligne au détriment de l’aspect technique. Ce dernier ne suit pas toujours, et les déboires qu’il connaîtra avec certaines de ses créations lui feront délaisser peu à peu cette activité : l’émail de la bague de Mlle Blum a montré des craquelures, après quelques semaines d’usage ; Mme Cahen a failli perdre sa broche, après qu’une branche du pendentif se soit soudain dessoudée… Quant aux péripéties du bijou de Mme Paul Géraldy, cela pourrait être le sujet d’une pièce pour le boulevard ou, du moins, d’une petite nouvelle exemplaire.