Septième aventure
A Berlin, David Olíve découvre un curieux hôtel, hanté par un personnage qui est obsédé par le Mur.
Depuis une semaine, tout le Stuttgarterhof attend des nouvelles de John Runnings.
Mister John Runnings est citoyen américain, depuis 69 ans. Et, depuis huit mois, il est le client le plus encombrant de l’hôtel Stuttgarterhof. Les passants sont rares dans ce coin écarté de la Rue Anhalter. En fait, on marche très peu sur le bout de trottoir où il est situé, parce que quinze mètres plus loin il finit dans le Mur. Cette partie de Kreuzberg était, avant la guerre, un endroit très animé ; le centre même de ce quartier populaire, autour de la plus grande gare de Berlin dont il ne reste qu’un pan de ruines conservé je ne sais pour quelle raison. Les quelques rares promeneurs qui s’y hasardent, avant de s’apercevoir presque aussi vite qu’ils se sont engagés dans une impasse, ont des chances de tourner les talons sans remarquer qu’il y a là un hôtel. Ils verront au mieux des terrains vagues et, en arrière-plan, des grands immeubles badigeonnés de crasse, probablement squattés. Est-ce pour appeler l’attention de ces âmes égarées, que le propriétaire a fait couvrir sa façade (ou plutôt, ce qu’il en reste) de trois bandes horizontales, épaisses et alternées, de peinture rouge, blanche et verte ? Monsieur Weinreich ne le dira jamais. Dans la petite loge vitrée qui fait fonction de réception, Hans-Joachim Weinreich répond à toutes les questions de ses clients, sauf à celle qui concerne les trois couleurs de sa façade.
La cause en est peut-être que cela a été mal fait ? Ou bien que le résultat ne répond pas à l’effet qu’il escomptait ? Ces trois bandes de peinture ont, il faut le dire, un air improvisé qui renforce l’aspect triste et minable de cette construction en rez-de-chaussée, à quoi se résume son établissement… Pas tout à fait. Pour être honnête, il conviendrait d’ajouter à la description de cette façade, les deux distributeurs automatiques qui la flanquent, sur sa droite. Un peu comme la signature de l’artiste, au bas d’un tableau. Le jaune pour les cigarettes, le vert pour les condoms. En fait, on s’attendrait à trouver, en franchissant ce qu’on hésite à nommer un porche – tant cette ouverture a été dénaturée -, un dépôt de ferraille ou un atelier de mécanique, comme il s’en voit fréquemment dans les extensions industrielles des grandes villes. Il n’en est rien. J’ai engagé ma voiture de location dans un passage étroit, si étroit que j’aurais dû y renoncer avant d’écouter mon instinct. D’autant que j’ai compris, en arrivant au bout, qu’il me faudrait ressortir en faisant marche arrière. Ce qui ne serait pas une simple affaire, étant donné que j’étais seul et n’avais personne pour diriger la manœuvre. J’y ai trouvé une entrée discrète, flanquée de quatre ou cinq fenêtres garnies de pots de fleurs, de vieilles boîtes de conserves, de débris de mille choses disparates. Sur six mètres précédant cette entrée, une bande étroite de terre s’acquittait à regret de quelques salades, d’une poignée de salsifis et de poireaux étiques, entre deux perches à cornichons.
Au milieu, une planchette de bois mettait en garde les intrus : « Les clients de l’hôtel sont les bienvenus. Les curieux sont priés de faire demi-tour ». Le propriétaire avait apparemment le sens de l’humour. J’ai tout de suite associé cette heureuse disposition aux bandes tricolores qui recouvraient tout, autour de moi : les pots de fleurs, les vieilles boîtes de conserve, l’entour de la porte d’entrée et des fenêtres, le soutien de la planchette et jusqu’aux perches à cornichons. Etant donné que je cherchais un endroit tranquille, à l’écart du trafic et du bruit, j’ai décidé d’élire domicile chez cet original. Mais, j’en reviens à mon propos…
Lire la suite « Mister Runnings is back ! » →