Dix-septième aventure de David Olive
J’avais précédemment annoncé la seizième aventure comme étant la dernière… Je voudrais encore raconter ici comment David Olive s’égarait à Paris dans des fréquentations peu recommandables et prenait plaisir à des mensonges indignes de son honnêteté passée.
Je connais Franck Gazoille du temps où j’habitais le Vésinet. Il est marié, m’a-t-il dit, et, comme moi, père d’un garçon. C’est lui, qui m’a fait entrer dans la boîte. Quand il a appris qu’on cherchait un adjoint au secrétaire de rédaction, il a immédiatement pensé que je pouvais être intéressé. Nos boulots sont complémentaires, bien que le sien soit plus dur, physiquement. Il est chargé d’effectuer les derniers contrôles techniques avant l’envoi des textes à l’impression. Cela demande une certaine endurance, surtout lorsqu’il faut y passer la nuit. Mais, Franck ne paraît pas s’en ressentir, bien qu’il soit plutôt du genre « petit gabarit ». Aussi malingre qu’un serveur de buffet de gare, avec un visage gris, tout en creux et en bosses, au milieu desquels s’agitent deux yeux fouineurs… le tout, mal assorti à une démarche chaloupée d’officier de marine. Je trouve qu’il a changé. Il semble avoir une vie familiale assez compliquée, lui aussi. Parfois, il me parle de sa femme, que je ne crois pas avoir jamais rencontrée, malgré notre ancien voisinage. D’autres fois il me parle d’une autre fille, avec qui il semble habiter. J’ai fait un jour le numéro qu’il m’avait donné et je suis tombé sur une femme qui n’avait pas l’air de le connaître. En tous cas, il ne vivrait pas là, puisqu’il n’a jamais su apparemment que je l’avais appelé. A moins que je me sois trompé en notant le numéro. Je n’ai pas trop osé insister. D’autant que la voix au téléphone était assez vulgaire.
Au boulot, il n’est pas toujours facile. Ma mère a une expression juive très amusante, pour décrire ce genre de caractère. Elle dit que c’est « un chieur de raisins de Corinthe ». Son côté chèvre, peut-être ? Mais, dès qu’on le connaît mieux, on s’aperçoit que c’est un type brillant qui n’a rien à foutre de son métier. Généreux et, je le crois, très bon camarade. Tout en marchant, nous parlons de choses et d’autres, et surtout d’histoire (avec un petit h). Un domaine qui le passionne, tout autant que moi. Je lui faisais remarquer l’autre jour à quel point la topographie de Paris est une chose étonnante. Le passé dort sous nos pas et il suffit d’être un tant soit peu observateur pour le voir resurgir.
— D’une façon beaucoup plus pittoresque, me disait-il fort justement, dans les quartiers qui ont refusé de l’être — quartiers d’affaires, d’administrations ou de banques — , que dans ceux qui en ont fait leur réputation, comme les vieux quartiers populaires de la capitale.
Nous descendons assez souvent ensemble la rue de Richelieu. Longue, froide, lugubre artère rectiligne, qui va droit devant elle, du boulevard des Italiens à la Seine. Venteuse et glaciale l’hiver, torride en été. Poussiéreuse toute l’année. Trois-cent mètres avant la Comédie Française, nous bifurquons par une petite rue qui part en biais, à droite de la fontaine dédiée à Molière, pour rejoindre l’avenue de l’Opéra. Je ne saurais dire pourquoi je la préfère à toutes les autres, cette rue Molière. Peut-être, parce qu’elle est plus tranquille, ou parce qu’elle se détourne des grandes voies pour filer, étroite et ombreuse, entre deux rangées de maisons hautes. Elles n’ont d’ailleurs rien de remarquable ces maisons. C’est le modèle courant à Paris depuis des siècles. Avec ses façades maussades et plates, alignant à tous les étages, les mêmes fenêtres étroites, bordées d’une rampe en bois ou en fonte, jusque sous les toits.